Le maire du fleuve

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J’ai eu le privilège de rencontrer le maire en personne. Ce n’est plus un secret, bien des gens savent que Régis Labeaume a un chalet sur la Côte-de-Beaupré.

Mais je ne parle pas de ce maire-là!

Son village est minuscule, peuplé de vingt âmes tout au plus. Des nomades viennent s’y installer en traînant leur maison sur une remorque, lorsque l’eau est solide.

De janvier à mars, cette drôle de bourgade éphémère subit les effets de la mer. Ses habitants s’en réjouissent d’ailleurs, ainsi que les visiteurs qui passent par là et découvrent avec étonnement ce patelin saisonnier qui n’est pas fait pour les frileux.

Attirée par des touches de rose, jaune et bleu sur le chenal immaculé, j’ai franchi le fleuve gelé à la hauteur de Boischatel, embarquant dans mon aventure mon ami Francis, touriste parisien venu vivre l’aventure de l’hiver canadien et de ses immenses espaces.

Ni une ni deux, nous avons été frapper à la porte d’une cabane qui nous attirait en particulier. Elle s’est ouverte sur un monsieur chaleureux, amusé par notre audace, qui nous a aussitôt invités à entrer dans son espace exigu. Photos de trophées de pêche, trou dans la neige pour taquiner le doré et poêle à bois constituaient le décor. Il s’est empressé de nous dire qu’il n’était nul autre que le maire, le maire du fleuve.

Ravi de sa notoriété, il gonfle son anorak et s’emballe dans toute sa fierté pour clamer son appartenance à ce fleuve majestueux. Le maire du fleuve règne en maître des glaces : c’est lui qui, chaque année, s’installe le premier et guide les autres propriétaires de cabanes pour leur indiquer où s’installer. Ne pose pas son toit sur le fleuve qui veut! Monsieur le maire a l’autorité sur le territoire entre la Côte-de-Beaupré et l’Île d’Orléans.

Il nous raconte que la cabane de son voisin, celle qu’on aperçoit en ce moment même de sa fenêtre, disparaît chaque matin. Dans son village, les maisons montent et descendent, craquent de toutes parts. Certaines deviennent invisibles, bougeant constamment au gré des marées. C’est la réalité quotidienne pour les douze abris mouvants de la paroisse, posés çà et là le long du chenal, sur un pont de glace de deux mètres d’épaisseur.

En pleine nuit, il est souvent réveillé par la cloche de sa canne à pêche qui sonne la bonne nouvelle au bout de l’hameçon!

Le matin venu, alors qu’il découvre dans la brume du fleuve les clochers des humains d’en face, il observe, ému, les timides rayons du soleil sautiller sur son jardin de blocs scintillants. Rien que pour ça, il savoure son bref statut de maire du fleuve, même s’il doit se faire prendre en photo par des touristes extasiés.

La lumière décline et nous devons retourner chez les Terriens. En partant, je jette un coup d’œil derrière moi pour vérifier que je n’ai pas rêvé cette rencontre insolite. La cabane est bien là, minuscule, bancale et fumante. Ses couleurs vives et gaies contrastent avec le noir et blanc de l’hiver québécois. Merci, monsieur le maire, pour ce moment hors du temps.

Cette histoire fera bientôt l’objet d’un conte pour enfants.

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Florence
Bourg

Florence Bourg
Son quartier général c'est le MSA depuis plus de 20 ans. Amoureuse des sports de montagne et communicatrice, elle aime écrire et partager ses coups de cœur. Elle a prêté sa plume aux magazines Espaces, VéloMag et Géo Pein air et co-écrit le Guide du plein air au Québec. Sa philosophie? Prendre soin de soi, des autres et de la Nature. Son défi? Te faire voir le MSA sous un angle nouveau.